La rhétorique de l’innovation
Très instructif, ce discours de Bruno Le Maire (indépendamment du fait que l’on soit d’accord ou non). Historiquement, ses prédécesseurs utilisaient le terme d’innovation dans la rhétorique de la sauvegarde et la gestion du risque.
Comme disait Étienne Klein dans une de mes interviewes :
La rhétorique de l’innovation qu’on entend déclinée à peu près partout dans les entreprises et aussi dans les laboratoires de recherche, en gros, c’est une rhétorique de la sauvegarde. C’est-à-dire que sans qu’on l’entende toujours de façon explicite, ce qu’on explique c’est qu’il faut innover pour qu’on empêche que le monde se défasse.
Avec une lecture approfondie de ce discours au sommet Eco de Challenges, on constate que désormais le mot appartient au champ lexical de la bataille.
Ainsi, Bruno Lemaire lance :
La bataille qui se livre aujourd’hui entre les grandes nations de la planète, en matière d’innovation, est une bataille farouche et sans pitié. Il y aura les gagnants et les perdants de cette bataille.
Ainsi que de la conquête et de la domination :
Il y aura ceux qui resteront souverains du point de vue technologique, et ceux qui seront totalement dépendants des transmissions, des télécommunications, de la gestion des données, aux mains des autres puissances. L’innovation, c’est la souveraineté, sans innovation, pas de souveraineté.
On retrouve toutefois cette injonction typique de la rhétorique de l’innovation, affirmée de manière parfaitement inéluctable :
Sans innovation, pas de succès économique. Sans innovation, pas de capacité à prendre des parts de marché.
L’innovation, qui était un outil de sauvegarde chez Sapin et Montebourg (et depuis bien avant déjà), au sens où elle était mentionnée comme moyen de maintenir les modèles existants (mais jamais pour parler d’avenir) est maintenant devenu chez Bruno Le Maire un instrument guerrier, une arme donc.
Mais alors, quelle est la place pour le futur ? À quel moment peut-on parler de progrès, d’avenir ? On l’évoque, dès lors que l’on parle des innovations de “rupture”. Le big data, l’intelligence artificielle, le spatial, le transhumanisme arrivent sur nous comme des messies et nous attendons de “la rupture” qu’elle remette en cause ce que nous faisons, sans dire… ce qu’elle fera.
Là encore, Étienne Klein nous éclaire. Interviewé par l’APM cette fois (association pour le progrès dans le management)
« Nous sommes confrontés au paradoxe où c’est notre action qui prédit le futur, donc on ne peut d’autant pas agir dessus qu’on ne le connait pas plus que les conséquences de nos propres actions ».